CONDAMNATION DU LOCATAIRE AU RÈGLEMENT DES LOYERS PENDANT LA PÉRIODE DU PREMIER CONFINEMENT

Certains gestionnaires de résidence de tourisme espéraient jusque-là pouvoir s’exonérer du paiement des loyers commerciaux en opposant à leur propriétaire l’exception d’inexécution ou encore la force majeure.

A contre courant de la décision rendue par le Tribunal de commerce de Paris (commenté dans un article ici), la Cour d’appel de Grenoble vient de condamner le 5 novembre dernier un locataire exploitant une résidence de tourisme à régler les loyers dus au titre du deuxième trimestre 2020 (Cour d’appel de Grenoble, Chambre commerciale, 5 novembre 2020, n° 16/04533).

Nous verrons cependant, que la situation de l’exploitant dont il est question en l’espèce était sensiblement différente de celle des gérants de parapharmacie et de salles de sport impliqués dans l’affaire jugée par la Juridiction parisienne.

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LES MOYENS REJETÉS PAR LA COUR D’APPEL

L’exception d’inexécution

La Cour d’appel de Grenoble en l’espèce a purement et simplement rejeté l’argument tenant à l’exception d’inexécution soulevée par le locataire.

L’exception d’inexécution est visée aux articles 1219 et 1220 du Code civil, elle peut être définie comme le droit, pour une partie, de suspendre l’exécution de ses obligations tant que son cocontractant n’a pas exécuté les siennes. :

Article 1219 :
“Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.”

Article 1220 :
“Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais.”

Ainsi la Cour d’appel de GRENOBLE a considéré que :

“Si la société Appart City soutient, pour se soustraite à son obligation, l’exception d’inexécution, il ne peut qu’être constaté que le bail commercial n’a pas subordonné le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à aucun taux de remplissage. Il ne résulte d’aucun élément que l’appelant ait manqué à ses obligations contractuelles rendant impossible la location des lots et l’exercice par le preneur de son activité hôtelière”.

En l’espèce, la Cour d’appel a donc considéré que le propriétaire du local commercial n’avait pas méconnu ses obligations contractuelles, de sorte que l’exception d’inexécution ne pouvait être retenue.

La force majeure

La Juridiction d’appel a également rejeté l’existence d’une quelconque force majeure :

“Concernant le moyen pris de la force majeure liée à l’épidémie Covid 19, il n’est pas justifié par l’intimée de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers. Cette épidémie n’a pas ainsi de conséquences irrésistibles. En outre, ainsi que soutenu par l’appelant, si la résidence dans laquelle se trouvent les lots donnés à bail constitue bien une résidence de tourisme définie par l’article R321-1 du code du tourisme, ainsi que l’a rappelé le bail commercial dans son exposé, l’article 10 du décret du 11 mai 2020 modifié le 20 mai 2020, tout en interdisant l’accueil du public dans les résidences de tourisme, a prévu une dérogation concernant les personnes qui y élisent domicile, de sorte que toute activité n’a pas été interdite à l’intimée, laquelle ne produit aucun élément permettant de constater que l’activité qu’elle exerce ne correspond qu’à la location de locaux d’habitation proposés à une clientèle touristique qui n’y élit pas domicile, pour une occupation à la journée, à la semaine ou au mois, comme prévu à l’article R321-1 précité. Ce moyen ne peut qu’être rejeté.”

Une activité était donc envisageable pour ces résidences de tourisme, même si celle-ci était réduite, de sorte que l’argument tiré de la force majeure ne peut pas être retenu non plus.

Le fait du prince

Ensuite, l’argument tiré de la théorie jurisprudentielle du fait du prince a lui été logiquement rejeté, celle-ci n’étant pas applicable aux rapports privatifs:

“S’agissant enfin du moyen pris du fait du prince, il convient de relever que cette théorie jurisprudentielle concerne les rapports entre une personne morale de droit public et son cocontractant, ce qui n’est pas le cas de l’espèce. Ce moyen est mal fondé et ne peut qu’être également rejeté.”

Le moyen tiré de l’ordonnance du 25 mars 2020

Enfin, la Cour d’appel de Grenoble précise que l’article 4 de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, prévoyant que “les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L622-14 et ‘L641-12 du code de commerce, s’applique aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire” .

Elle indique en outre que : “Selon l’article 1er de cette ordonnance, peuvent bénéficier de ces dispositions les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020. Les conditions d’admission à ce fonds ont été définies par le décret 2020-371 du 30 mars 2020, dont l’article 1er prévoit que le nombre de salariés doit être inférieur ou égal à 10, et le chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros”.

Or, en l’espèce, le gestionnaire exerçait une activité sur l’ensemble du territoire national, avec un chiffre d’affaires de près de 180 millions d’euros, avec plus de 800 salariés de sorte que ces dispositions ne sont pas applicables.
Le locataire commercial pouvait donc être condamnée, en sus du paiement des loyers, au paiement de pénalités de retard ou encore à des dommages et intérêts !

La Cour d’appel de Grenoble condamnait ainsi le locataire commercial au paiement des loyers commerciaux dus pendant la période du premier confinement et le condamnait en outre au paiement d’intérêts de retard, mais également de dommages et intérêts au profit de son propriétaire.

LA PORTÉE DE CETTE DÉCISION DE CONDAMNATION AU PAIEMENT DES LOYERS COMMERCIAUX

Comme je le précisais dans le précédent article sur le paiement des loyers commerciaux pendant les périodes de confinement liées à la pandémie de Covid-19, les décisions isolées rendues en faveur des locataires commerciaux ne doivent pas les inciter ces derniers à s’exonérer de l’exécution de leurs obligations.

Bien au contraire, ce type de décisions laisse d’ailleurs à penser que l’ensemble des exploitants qui peuvent continuer à exercer, même partiellement, leur activité, seront condamnés au paiement des loyers commerciaux de la même manière.

On pense notamment aux commerçants qui peuvent utiliser le “click and collect” ou encore les restaurateurs avec les commandes à emporter.

En effet, chaque situation est différente et doit être précisément analysée avant d’envisager une éventuelle suspension du paiement des loyers.

Le Cabinet PRC AVOCAT, en tant qu’avocat en baux commerciaux à Nice et Paris, s’occupe aussi bien de la défense des locataires que de celle des bailleurs commerciaux, vous accueille et vous conseille dans ce type de contentieux.