Le partage des commissions est un sujet sensible pour les professionnels de l’immobilier. Exacerbé par une concurrence féroce, les agents immobiliers sont parfois confrontés à des pratiques agressives de leurs confrères mais aussi il faut le dire à des particuliers peu fidèles et volatiles.
Voici un exemple jugé par la Cour de cassation entre la société CID et le groupe ORPI.
Exposé du litige
Les propriétaires X confient au cabinet CID un mandat de vente non exclusif d’une maison d’habitation au prix de 499.000 € moyennant une rémunération de 20.000 euros. Une visite est organisée le 5 mars 2015 avec des acquéreurs O.
Le même jour, les propriétaires X confient un mandat de vente sans exclusivité de ce même bien à la société ORPI moyennant une rémunération de 4% du prix de vente. L’agence ORPI fait visiter ce bien quelques jours plus tard aux mêmes acquéreurs O.
Les acquéreurs O formulent alors le même jour une offre d’achat aux même prix aux deux agences immobilières.
Le compromis et l’acte définitif de vente est finalement signé avec le seul concours de l’agence ORPI.
Les deux agences revendiquent chacune d’elle le montant total de leur commission.
La procédure devant les juges du fond
L’arrêt de la Cour de cassation ne reprend pas la décision des juges de première instance mais nous comprenons à la lecture de la procédure et avec un peu de logique que la société CID aura probablement assigné les vendeurs en paiement de la commission. Nous pouvons supposer également que l’agence OPRI a été mise en cause par les vendeurs X ou est intervenue volontairement dans la procédure.
Nous sommes néanmoins certains que la Cour d’Appel de Lyon a suivi l’argumentation des juges de première instance qui ont jugé que les deux agences immobilières devaient partager la commission car “elles ont toutes les deux participer à la vente qui a été conclue sans qu’il soit démontré que l’activité de l’une a été plus essentielle et déterminante que l’activité de l’autre“.
La société ORPI se pourvoi en cassation.
La décision de la Cour de cassation : la notion d’activité essentielle et déterminante
La société ORPI s’estime lésée de devoir partager sa commission dans la mesure où la vente a été conclue par son intermédiaire conformément à l’acte de vente.
Son argumentation juridique est fondée : elle estime que le Cour d’Appel de Lyon n’a pas respecté les dispositions de l’article 6 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970. Cet article pose le principe selon lequel une agence immobilière n’a le droit au paiement de sa commission que pour les ventes passées par son intermédiaire.
Autrement dit “pas vendu, pas payé” (voir un exemple ici).
Néanmoins, la Cour de cassation a rejeté cet argumentaire et a confirmé l’arrêt de la Cour d’Appel.
La Haute juridiction estime qu’au regard des éléments du dossier, les deux agences avaient effectivement participé à la vente nonobstant la présence d’une seule d’entre elles dans l’acte de vente. Elle reprend les arguments des juges du fond : il y avait deux mandats non exclusifs, deux visites le même jour et une offre d’achat au même prix adressée par les deux agences.
Que doivent déduire les agents immobiliers de cette décision ?
Il s’agit d’une décision de rejet, il sera donc difficile d’ériger en principe le résultat de cette affaire.
Toutefois, la Cour de cassation a semblé rechercher l’esprit de la loi Hoguet plutôt qu’une application strictement littérale. En effet, la loi est simple: aucune somme d’argent n’est due tant que la vente contenant l’accord des parties n’est pas conclue.
Dans ce cas d’espèce, la société CID a pourtant obtenu la moitié de la commission alors qu’elle n’est pas visée dans l’acte de vente. La situation était il est vrai très particulière puisque deux offres au même prix le même jour ont été donné aux deux agences.
La motivation de la Cour de cassation mérite toutefois une attention particulière : les juges ont recherché si les deux agences avaient participé à la vente effectivement conclue sans pouvoir démontrer que l’activité de l’une était plus essentielle et déterminante que celle de l’autre.
Il est donc recommandé aux agents immobiliers de laisser le plus de traces écrites sur les diligences effectuées dans le cadre des négociations. La décision aurait sans doute été différente si l’une des deux agences avait pu démontrer que c’est grâce à ses conseils qu’un accord sur le prix de vente avait été trouvé.
Or cette situation arrive très souvent : deux agences font visiter le même bien mais c’est les négociations de l’une qui ont permis à la vente de se conclure… Conclusions : si vous êtes à l’origine du deal, mettez vous en position de leur prouver !
Si vous souhaitez lire la décision de la Cour de cassation c’est ici.
Si vous souhaitez lire l’article 6 de la Hoguet c’est ici.